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Dossier: homologation d'un véhicule en matière de bruit

Dossier: homologation d'un véhicule en matière de bruit

Guillaume Darding - 12 mai 2014
Temps de lecture : environ 9 minutes

Si les émissions sonores des véhicules ont, à l'image des émissions de gaz polluants à l'échappement, fait l'objet de nombreuses mesures pour diminuer les nuisances sonores en ville, ces mesures n'ont pas eu l'effet escompté, notamment à cause de l'augmentation du trafic et des évolutions de la conduite en milieu urbain.

Pour réduire encore les nuisances, les instances européennes ont validé une nouvelle méthode de mesure et de nouveaux objectifs en matière de bruit applicables à tout nouveau type de véhicule dès 2016.

Audi R8 - sortie échappement

Cette nouvelle réglementation s'appliquera à tous les véhicules, des voitures aux camions (l'article se concentrant sur l'évolution de la réglementation pour les automobiles). Les deux-roues ne sont pas concernés: ils font l'objet de normes spécifiques.

Méthode de mesure actuelle

Deux types de mesures sont actuellement en vigueur: une mesure en mouvement et une autre en statique.

La mesure en mouvement consiste à définir une zone de 20 mètres de long et à y placer deux microphones au milieu de la zone, éloignés de 7,5 m de l'axe central de la route à une hauteur de 1,2m. A l'entrée de la zone, le véhicule passe à la vitesse de 50 km/h et accélère pied au plancher jusqu'à ce que l'arrière du véhicule passe la sortie de zone.

Emissions sonores - zone de mesure véhicule en mouvement

En statique, le microphone est positionné à 7 mètres du véhicule et le moteur tourne aux trois quarts du régime de puissance maximale du moteur.

Emissions sonores - zone de mesure véhicule à l'arrêt - ancien type de mesure

Chaque mesure, en mouvement est répétée au moins 2 fois et il ne doit pas y avoir de différence supérieure à 2 dB entre 2 mesures pour que le test soit validé. Les mesures s'effectuent par ailleurs sur un véhicule rôdé, le moteur étant à température normale de fonctionnement.

Pour chaque mesure, l'intensité maximum mesurée est retenue. Si toutes les valeurs sont inférieures au niveau limite de 74 dB(A), le véhicule est jugé conforme à la réglementation en vigueur.

Pourquoi changer?

Le protocole de mesure actuel est entré en vigueur en 1970 associé à une limite sonore de 82 dB(A). La limite a été réduite à travers les décennies pour atteindre 74 dB(A) aujourd'hui. Cette méthodologie a été mise en place dans le but de limiter les nuisances sonores en ville.

Néanmoins, dès 1996, des études ont montré que cette méthode devenait inefficace pour les automobiles, du fait qu'elle se concentrait sur le cas le plus défavorable (accélération à pleine charge), ce qui ne reflétait plus le mode de conduite en milieu urbain. D'une part, les agglomérations ont une vitesse limite de 50 km/h (or le test démarre à la vitesse de 50 km/h pour les automobiles).

Audi S1 - sorties d'échappement

D'autre part, les accélérations à pleine charge se sont raréfiées en ville: si le bruit généré par le moteur est toujours la source de bruit prépondérante en ville, le bruit des pneus a désormais une part significative dans les émissions sonores générées par une voiture.

Aussi, il a été décidé de revoir en profondeur les procédés d'homologation en matière d'émissions sonores. En premier lieu, les pneumatiques font désormais l'objet d'une réglementation spécifique. En second lieu, les tests sont revus de manière à refléter plus fidèlement la conduite en ville.

Nouvelle méthode de mesure

Avant d'être validée par les instances européennes, le futur protocole a été évalué sur une période de 3 ans à titre expérimental: chaque nouveau type de véhicule devant être homologué devait être mesuré selon la méthode actuelle et la méthode future. Néanmoins, seules les mesures relevées selon le procédé actuel faisaient foi dans le processus d'homologation.

Renault Clio RS - vue de derrière

La nouvelle méthode de mesure consiste, à l'image des anciens tests, en des tests en mouvement et en un test statique.

Pour les tests en mouvements, si la zone de mesure est identique, la méthodologie se complexifie: le véhicule doit toujours accélérer dans la zone, mais il s'agit d'une accélération partielle (calculée en fonction du rapport poids/puissance du véhicule) de manière à ce que le véhicule passe au niveau des microphones à la vitesse de 50 km/h. D'autre part, l'accélération visée ne doit pas dépasser 2.0 m/s2 (ce qui équivaut à accélérer de 0 à 100 km/h en plus de 13,9 secondes).

Une seconde mesure est effectuée à la vitesse constante de 50 km/h. Le résultat de la mesure en mouvement correspond à la moyenne de la mesure à vitesse constante et de la mesure avec le véhicule en accélération.

En statique, le microphone est désormais positionné à une distance de 50 cm des sorties d'échappement selon un angle de 45°.

Emissions sonores - zone de mesure véhicule à l'arrêt - nouvelles mesures

Le régime moteur doit atteindre, pour la mesure en statique:

  • 75% du régime de puissance maximum dans le cas où ce dernier est inférieur à 5.000 tr/min
  • 3750 tr/min dans le cas où le régime de puissance maximum est compris entre 5.000 tr/min et 7.500 tr/min
  • 50% du régime de puissance maximum dans le cas où ce dernier est supérieur à 7.500 tr/min

A l'image du procédé de test actuel, toutes les mesures relevées doivent être inférieurs à la limite en vigueur. En 2016, cette limite sera de 72 dB(A) puis 70 dB(A) en 2022 pour atteindre 68 dB(A) en 2026. Les véhicules plus puissants bénéficieront par ailleurs d'une marge d'un à trois dB en fonction de leur rapport poids puissance.

limite de bruit (émissions sonores) en fonction du rapport poids puissance

Une Volkswagen Golf GTI et une Audi S5 bénéficient par exemple d'un bonus de 1 dB. La version plus sportive de l'A5, l'Audi RS5, se voit allouer un bonus de 3 dB.

Selon l'étude comparative effectuée entre les deux méthodes de mesures, les niveaux relevés avec la nouvelle méthode de mesure sont, en moyenne, 2,1 dB plus silencieux que la méthode de mesure actuelle. D'autre part, cette même étude montre que les véhicules homologués sont 1,9 dB sous la limite légale.

Opel Cascada - sorties d'échappement

En d'autres termes, la limite applicable en 2016 est équivalente à la limite actuelle pour les voitures. D'autre part, la limite applicable en 2022 est déjà atteinte par un grand nombre de véhicules.

Le nouveau procédé ne tenant pas compte du cas le plus défavorable, une nouvelle batterie de mesures a été ajoutée (ASEP - Additional Sound Emission Provisions). Ces mesures supplémentaires se déroulent sur la même zone que celle utilisée pour les véhicules en mouvement. Elles consistent à vérifier sur chaque rapport de la boîte de vitesses et sur chaque mode de conduite que le véhicule n'est pas exagérement bruyant.

Elles reposent sur des accélérations à pleine charge avec différentes vitesses d'approche (4 points par rapport de boîte). Le niveau limite à ne pas dépasser est fonction du régime moteur atteint en sortie de zone et du niveau de référence, mesuré lors du test précédent en mouvement.

ASEP - provision pour les émissions sonores hors cycle

Impact sur la conception des véhicules

Les nouvelles normes en matière d'émissions sonores ne sont pas beaucoup plus drastiques que les normes actuelles. De plus, beaucoup de véhicules sont déjà plus silencieux que la norme en vigueur. Ce phénomème a plusieurs explications: les véhicules sont bien mieux isolés qu'auparavant (le moteur n'est quasiment plus visible lorsqu'on soulève le capot par exemple) et l'acoustique à l'échappement est devenu un point essentiel dans le développement d'un véhicule.

Minimiser le bruit de l'échappement permet de réduire les nuisances sonores tant à l'extérieur (pour les passants) qu'à l'intérieur du véhicule. Or, un véhicule silencieux (hormi pour les véhicules sportifs) est un critère de choix dans l'achat d'un véhicule: il est impensable d'avoir à crier pour converser avec les autres occupants ou d'augmenter exagérement le volume de l'autoradio, sans oublier l'émergence des conversations téléphoniques via le système audio du véhicule.

BMW M6 - sorties d'échappement

Dès lors, les silencieux occupent désormais plus de volume sous caisse qu'auparavant (potentiellement, disposer de plus de volume permet un meilleur traitement acoustique): la suppression de la roue de secours dans la plupart des nouveaux véhicules a libéré de l'espace par exemple.

De plus, les futures normes d'émissions visent à diminuer la consommation des véhicules. Aussi, les constructeurs peuvent aussi faire le choix de réduire la capacité du réservoir de carburant. Mercedes a déjà opter pour cette solution avec la nouvelle Classe C en réduisant le réservoir à une capacité de 41l (initialement pour réduire le poids), un réservoir de 60l étant toujours disponible en option.

En ce qui concerne les véhicules à moteur diesel, l'ajout des dispositifs de dépollution (filtre à particules, SCR) a intrinsèquement réduit le bruit émis par ces moteurs. Les constructeurs s'attachent dès lors plus tôt à travailler la sonorité du moteur pour la rendre plus agréable, à l'image de ce que Audi et Eberspächer proposent sur l'A6 TDI biturbo avec un dispositif de contrôle actif du bruit (ANC - Active Noise Control).

Eberspächer - Audi A6 TDI biturbo ANC Active Noise Cancellation

Pour les véhicules sportifs, les constructeurs devront continuer leurs efforts pour réduire le bruit à l'échappement grâce à des vannes électriques (qui obturent certaines sorties d'échappement lorsque le moteur n'est pas utilisé à pleine puissance) ou des systèmes actifs de traitement du bruit de type ANC.

Impact sur les nuisances sonores en ville

Avec l'application des nouvelles méthodes d'appréciation des émissions sonores, les autorités espèrent réduire les nuisances sonores en moyenne d'environ 3,1 dB et jusqu'à 4 dB dans les conditions les plus favorables (traffic intermittent).

Actuellement, on estime à 55 millions de personnes en Europe hautement dérangées par le bruit du trafic routier et 27 millions de personnes souffrant de troubles du sommeil. L'application des nouvelles normes permettrait en théorie de réduire ces chiffres à respectivement 41 millions et 21 millions.

Fiat 500 - vue arrière

Toutefois, étant donné l'inertie de renouvellement du parc automobile (l'âge moyen du parc automobile français est de plus de 8 ans), ces valeurs ne seront pas atteintes avant 20 ans après l'application de la norme, soit en 2046.

D'autre part, il n'est pas tenu compte dans cette estimation de l'augmentation annuelle du trafic routier (1,6% pour les voitures, 0,6% pour les bus, 1,2% pour les camions). Un accroissement qui vient contre-balancer ces perspectives d'améliorations de plus d'un décibel.

A propos du décibel

Le décibel est l'unité couramment utilisée pour évaluer une pression acoustique (mesurée en Pascal). Il s'agit d'une échelle logarithmique permettant de mieux appréhender une mesure lorsque les résultats se répartissent sur une large plage. Dans les faits, une différence de 3 dB correspond à doubler ou diviser par 2 la pression acoustique.

Il est couramment estimé qu'un avion au décollage atteint un niveau sonore de 130 dB contre 70 dB pour le bruit provenant d'une route. En terme de pression acoustique, cela se traduit par une pression acoustique de 63 Pa pour l'avion contre 0,063 Pa pour le bruit de circulation, une valeur 1.000 fois plus élevée donc.

Citroën DS5 - vue de derrière

Le décibel est une échelle doublement pratique dans le sens où une différence de 1 dB correspond peu ou prou au seuil minimum que l'oreille humaine peut détecter (autrement dit, l'oreille n'est pas capable de faire la différence entre un son émis à 73 dB et le même son à 73,5 dB).

Enfin, on utilise une pondération dans les calculs de pression acoustique pour refléter plus fidèlement le comportement de l'oreille. Un son émis à une fréquence de 100 Hz à un niveau de 73 dB ne sera pas perçu de la même manière qu'un son émis à une fréquence de 1.000 Hz toujours à 73 dB. La pondération A permet de prendre en compte ces "imperfections" de l'oreille.

Décibel - pondération A

Source: TNO, Parlement Européen, Commission Européenne
Crédits photo: Audi, BMW, Citroën, Eberspächer, Faurecia, Fiat, Mercedes, Opel, Renault

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Commentaires

Bdx

26 juillet 2019 à 10h54

Bonjour

Merci de votre très intéressant article sur un sujet qui nous casse souvent les oreilles en ville en particulier. IL me semble qu'il y a une très forte hypocrisie et un "laisser faire" important de nos instances, qui jouent avec les définitions.

Par exemple, je suis surpris de voir les motos émettre des niveaux sonores colossaux sans être verbalisée. Certaine marque Trumpesque en particulier doit jouer avec la courbe de pondération en émettant un niveau sonore très basse fréquence énorme qui réveille tout le quartier, sans peut être dépasser la limite (j'en doute fort).

Je souhaiterait en particulier savoir si les niveaux règlementaires sont des niveaux acoustiques intégrées dans la bande audible de 20 - 20 000 Hz ou bien si on parle de d'une valeur de densité spectrale.
Dans le cas de la densité spectrale cela signifierait qu'aucune composante du spectre ne doit dépasser la limite spécifiée.

Qu'en est il de la méthode pour les motos.

Quelle actions pouvons nous avoir pour motiver les états à faire qqchose pour éviter de gêner les 55 millions de prsonnes de l'UE gênées par le bruit….
Guillaume Darding [administrateur]

27 juillet 2019 à 00h17

Bonjour Bdx,

je suis moins familier avec les procédures d'homologation moto, mais les essais restent assez similaires à ceux réalisés dans le cadre d'une homologation d'un véhicule routier (à savoir un essai à vitesse constante, un essai plein gaz et un essai statique). Les niveaux sonores admissibles sont sensiblement plus élevés dans le cas d'une moto par rapport à une voiture.

Les niveaux mesurés sont des niveaux globaux: il s'agit de la somme de toutes les composantes fréquentielles, selon la pondération A (représentative de la perception auditive humaine) et non une densité spectrale.

Concernant les actions, il y a effectivement certainement des recours, mais rien de simple et surtout rien de moins sûr d'aboutir, à mon sens. Au niveau local, vous pourriez vous rapprocher de votre maire pour le sensibiliser afin de déclencher des campagnes de contrôle spécifiques par les forces de police (encore faut-il qu'elles soient équipées d'un appareil de mesure homologué, ce qui est plutôt rare à ma connaissance).

Plus globalement, ce type de réglementation se décide au niveau européen en concertation avec les parties prenantes (ONG, constructeurs, équipementiers,...), il faut donc en référer aux députés européens. Vous pouvez aussi tenter via votre député afin que cela soit débattu à l'Assemblée pour faire remonter la problématique au niveau européen. Enfin, on peut tout à fait aussi imaginer un recours devant la cour de justice européenne.

Dans tous les cas, votre requête me semble avoir peu de chances de se concrétiser...

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